« On se connaît ? » Oui, mais on connaît surtout la chanson


 
 
 
 
 

« Notre avenir est déterminé par notre capacité à recréer de la citoyenneté et du lien social » déclarait le Président du Conseil général à Ouest-France le 2 janvier 2013.

Cette déclaration d’intention du Président a trouvé un prolongement concret avec l’enquête « On se connaît ? ». Les agents de la Collectivité ont été et seront fortement sollicités pour devenir les ardents propagandistes d’une démarche qui vise à évaluer la qualité du service rendu au public et à le réorienter en donnant la parole à l’ « usager citoyen ».

En tant que syndicat SUD, tout qui concerne le service public départemental nous intéresse et tant pis si les organisations syndicales n’ont été associées à aucun des stades de la démarche… Nous tenterons donc, sur la base d’extraits de documents (cités en italiques entre guillemets) produits par la collectivité départementale, de répondre à trois questions :
Dans quel contexte économique et social la Collectivité a-t-elle pris cette initiative ?
Quel est la pratique départementale de la « démocratie participative » ?
L’enquête « On se connaît ? » constitue-t-elle une « divine surprise » ?

Touche pas à mes sous !

tract

Pour comprendre l’importance accordée par la collectivité à l’enquête « On se connaît ? », il est nécessaire de la replacer dans le cadre des orientations politiques et budgétaires de la collectivité. Celles-ci ont été théorisées dans un document signé de Directeurs Généraux de Département (dont la notre) intitulé « L’action sociale : boulet financier ou renouveau de la solidarité » (relire notre tract sur le sujet).

Que dit, en résumé, ce document ? L’État répercuterait sur les Collectivités son niveau d’endettement alors que les demandes sociales augmentent jusqu’à représenter plus de la moitié des dépenses de fonctionnement. Nous sommes bien en présence d’une logique financière visant à maîtriser les dépenses sociales en faisant appel à un double levier : le renvoi à la responsabilité individuelle des usagers et la concentration des moyens sur des « publics prioritaires »
.
Le document propose, en conséquence, de poser des limites à l’intervention sociale en développant la recherche de solidarités par les usagers devenus « acteurs et non sujets », en délimitant des publics « prioritaires » qu’il convient de « cibler ». Les personnels sont invités à « changer de logiciel » en matière d’action sociale, à « gérer le manque », et les usagers à se responsabiliser « dans une logique de droits et de devoir ».

Il n’est pas forcément aisé pour un Conseil général qui se dit de gauche de faire passer une orientation qui n’est pas a priori conforme à ses valeurs, du moins aux yeux de ses électeurs. Comment convaincre ceux-ci du bien-fondé de cette évolution ? Mieux, comment faire confirmer par les « usagers citoyens » eux-mêmes des décisions qu’ils ignorent ou qui sont déjà arrêtées ?

Le discours de la collectivité est significatif : il s’agit « d’associer les usagers aux réponses mises en place » et, quand est évoquée une association « en amont », la prudence est de mise : « pas question d’accéder à tous les souhaits des usagers. Au contraire, nous allons chercher à les impliquer et les responsabiliser ».

Et, en bon gestionnaire « responsable », le Département procèdera à une « analyse fine de sorte à trier les propositions », un tri qui se fera « dans le respect de nos moyens et du cadre strict posé par le BBZ ». (Budget Base Zéro)

CQFD… Maîtriser les dépenses sociales est bien l’objectif central du Département.

De l’« effet de ciseaux » à l’« effet de sécateur »

Chacun se souvient du Président du Conseil général tonnant contre l’État lorsque celui-ci étranglait la collectivité départementale, victime de l’effet de ciseaux entre les effets de la crise et le transfert vers le Département des charges de l’État. Muet sur le sujet depuis deux ans, notre Président aurait-il perdu sa combativité ? Et pourtant L’État a annoncé qu’il allait baisser ses dotations aux collectivités locales de 3 milliards d’euros en 2014 et 2015, celles-ci apportant leur participation au pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. Jusqu’à la réforme des rythmes scolaires qui coûtera 600 000 euros par an au département via le transport scolaire.

Juste un détail, l’Elysée a changé de locataire entre temps.

Participez ! Nous décidons...

En se dotant d’un « pacte citoyen », la majorité départementale a répondu a minima à l’attente de ses électeurs qui souhaitent exercer leur citoyenneté autrement que par leur bulletin de vote.

Avec leurs limites (désignation par le Président, avis simple, activité inégale), les comités consultatifs mis en place depuis 2005 sont censés concrétiser cette volonté de donner la parole au citoyen. Ils constituent le seul modeste acquis en la matière.

La question soumise par le Département à l’avis de l’ensemble des comités consultatifs en 2012 était... « les publics prioritaires » !

Dans leurs conclusions, les comités consultatifs émettent de fortes réserves sur la notion même de « publics prioritaires », floue dans sa définition avec des effets de seuil ingérables, incertaine juridiquement, dangereuse dans la stigmatisation qu’elle implique, remettant en cause l’universalité du service public.

Et de conclure, à l’initiative du comité Culture, qu’ «  il est préférable de repenser l’action publique non pas pour quelle cible mais qu’elle inclue les publics prioritaires dans une dynamique plus large ouverte à tous ». Pas mieux...

Seule l’ « expérimentation locale » trouve grâce aux yeux des comités et c’est bien la seule proposition dont le Conseil général pourrait se saisir avec le sentiment légitime d’avoir joué dans cette affaire à l’arroseur arrosé...

Le droit d’interpellation voté en 2011 est, quant à lui, pour l’instant resté lettre morte (sa mise en œuvre prévue début 2012 ne se ferait qu’à titre expérimental au printemps 2013) et nous ne tirerons pas sur l’ambulance de la médiation départementale.

L’enquête « On se connaît ? » ambitionne de contribuer à ce rapprochement avec les citoyens. Il faut dire que les élus ont matière à s’inquiéter s’ils prennent connaissance que seul 17% des personnes interrogées « ont le sentiment de participer à la définition des actions menées par le Conseil général ».

En quête de quoi ?

L’objectif de l’enquête « On se connait ? » est officiellement d’ « améliorer la qualité du service rendu aux habitants » et « mobiliser les citoyens autour des questions de citoyenneté et de solidarité de proximité ». Elle est censée, avec les conclusions des comités consultatifs et le diagnostic interne, « nourrir les rencontres avec les habitants ».

Le diagnostic interne, une « mine » ?


 Ce diagnostic, censé compléter et alimenter la « grande enquête », aurait, selon l’Administration, impliqué 1 600 agents et constituerait une « véritable mine » pour la Collectivité. L’accent y est principalement mis sur les « bonnes pratiques » en interne.

L’accueil des usagers y est présenté comme « courtois et efficace », « professionnel, pertinent ». La capacité à être « flexible » est montrée en exemple. Dans les « propositions d’évolution, l’extension des horaires et ouverture au public, la réduction de la polyvalence sur les postes d’accueil » (mais la création d’« un guichet unique » annoncé comme une mesure phare avant même les rencontres dans les Pays) figurent en bonne place. En conclusion, « il est même proposé d’inclure dans les fiches de poste et la procédure d’évaluation la qualité de la réponse aux usagers ».

La commande, très révélatrice et insistante de la DGSD, « pour accroître l’autonomie des usagers » a suscité nettement moins de propositions.

L’« e-administration », dont le principe a déjà été adopté par l’assemblée départementale, « une plus grande interactivité avec les usagers citoyens » sont préconisées et « Des abus parfois constatés liés à la gratuité du service » sont relevés.

En matière de responsabilisation des usagers, c’est le service des transports scolaires (et non les CDAS) qui est cité lorsqu’il rappelle aux familles « leur devoir civique d’assurer l’accompagnement de leurs enfant jusqu’à l’arrêt de bus », lorsque celles-ci demandent la création d’un point d’arrêt plus proche de leur domicile …

Il est permis de douter que l’investissement des 1 600 agents revendiqués aura permis d’« apporter la matière » à la question, décidément compliquée, de la responsabilisation des usagers.

« On se connait ? » : une enquête aux résultats biaisés...


 Très vite, la Direction Générale a triomphalement communiqué sur le taux de réponse au questionnaire diffusé par Nous Vous Ille mettant l’accent sur le taux élevé de réponse « d’après les professionnels des enquêtes » alors que 5 000 réponses ne représente que 1% du total des exemplaires distribués...

Il n’est pas dit que les « professionnels » cités considèrent anodin le fait que « les cadres et professions libérales » soient « surreprésentés dans les réponses » comme le concède discrètement l’administration départementale sans publier pour autant les chiffres. Un « bémol » d’autant plus fâcheux que ceux-ci ne constituent pas le profil de l’usager moyen du Département et, parmi ceux-ci, la cible de la démarche : les usagers du social.

Afin de récupérer le coup, le Département annonce 3 200 retours d’enquête spécifique sur les CDAS, Illenoo et les collèges… mais ces enquêtes n’ont pas été traitées et ne sont pas intégrées aux résultats publiés dans ILOE n° 209.

En l’état, on ne peut donc considérer que l’enquête soit représentative du point de vue des usagers des services départementaux, ce qui l’invalide.

... et sans surprise


 S’il faut néanmoins analyser les résultats affichés, observons :

  • le mauvais point décerné aux élus en matière de participation à la définition des actions menées par le Conseil général ;
  • la validation a posteriori de la décision de la collectivité de développer l’e-administration sans qu’on nous ait expliqué si la fracture numérique avait été réduite ;
  • les compétences du Département inégalement identifiées avec des compétences dites « phares » (routes et transports scolaire) et d’autres inconnues de plus de la moitié des usagers (social et service incendie), ce qui renvoie au profil de ceux-ci ;
  • le bide des Agences départementales inconnues de 76% des usagers. Rappelons qu’elles devaient rapprocher les services départementaux de ceux-ci et qu’elles sont encore malgré tout considérées par le CG35 comme « l’atout » principal de la collectivité en la matière ;
  • sur la qualité du service rendu, si la qualité de l’accueil est « plébiscitée », le taux d’insatisfaction sur le suivi et le temps de réponse, vraisemblablement sous-estimé, renvoie à l’insuffisance des moyens (qui n’est jamais évoquée).
La question qui fâche...

Notons qu’une question particulièrement révélatrice de la démarche « on se connaît ? » : «  Trouvez-vous préférable de faire appel en priorité à l’entourage plutôt qu’aux pouvoirs publics ?  » a disparu du numéro spécial Iloe.

Elle figure cependant dans le Nous Vous Ille avec un score de 48% contre 33%. La formulation de la question aidant, un plébiscite plus large était sans doute attendu par l’administration en faveur du recours à l’entourage, légitimant ainsi un désengagement du service public départemental.

A trop vouloir prouver, la DGSD a peut-être fait là une boulette…

Les rencontres avec les habitants

« Enthousiaste », la DGSD a découvert que 1 800 usagers avaient émis le souhait de participer aux rencontres organisés en mars avril.

Débordée par le succès, elle s’est lancée dans une opération de recrutement d’animateurs en complément des cadres traditionnellement sollicités dans ce rôle.

L’Iloe sur le sujet consacre de longs développement et interviews à ces agents « acteurs de la démocratie participative » et « piliers de la démarche » qui, munis de leur « kit » d’animateur (lire l’encart ci-dessous) et de leur journée de formation répondront à la question de la DG : « comment peut-on, de notre côté, encourager une attitude plus citoyenne que consommatrice de leur (les usagers) part ? ».

Le bilan de ses rencontres est plus que mitigé :

Représentants associatifs, élus locaux et citoyens ont été mêlés, ce qui ne favorise pas l’expression des usagers.

Malgré de multiples relances des services demandées par la DG, le bilan quantitatif reste très en-deçà des 1 800 usagers qui avaient exprimé leur souhait de participer : 22 à Redon, 26 à Bain-de-Bretagne, 140 (sur 2 réunions) à Rennes, 22 à Bédée...

Parmi ces participants, peu d’usagers mais beaucoup d’institutionnels, on reste dans une conception de la démocratie « participative »... très « représentative ».

Nous prenons les paris que seront repris et confirmés, dans ces réunions, les décisions de l’administration départementale.

Un kit « mains liées »

La société TMO recrutée par le CG pour l’opération « On se connait ? » a concocté un kit d’animation afin d’organiser les « rencontres dans les pays ».

D’entrée, elle annonce que l’objectif est « d’interroger sur l’équilibre à instaurer entre la prise en charge publique, individuelle, de solidarité de proximité d’un certain nombre de prestations ».

Dans ce « kit » de 60 pages : un « guide d’animation » prémâché à la phrase près, la méthode du « World Café » et un « guichet unique » permettant de répondre aux demandes individuelles des participants.

TMO y distille aussi ses bons conseils, entre autres : « en deux mots, il faut une grande humilité, mais aussi un grand cynisme : instrumentaliser le groupe ... »
Sans commentaires.

Surfant sur la légitime aspiration à développer les droits des usagers et à les associer aux décisions, l’opération « On se connaît ? » risque fort de se réduire à une instrumentalisation des usagers. Ceux qui ont le plus à perdre, ceux qui sont ciblés comme budgétivores, ceux qu’il faut « responsabiliser » , les usagers du social sont sous représentés dans cette enquête, et peu rodés aux débat organisés s’ils y participent. L’administration a déjà ficelé ses propositions, quand elles ne sont pas déjà décidées. Restera une opération de com’ en cette année préélectorale, « année de la démocratie participative »  !

Où sont les élus ?

Ce sont les grands absents de la démarche « On se connaît ? »

En particulier leur participation n’est pas mentionnée au coté des animateurs dans les réunions ; tout au plus, viendront-il grossir l’assistance.

Et pourtant, ce sont eux qui sont visés par l’insatisfaction de leurs électeurs en matière d’association aux décisions politiques, eux qui devraient répondre sur le « droit d’interpellation », expliquer les fonctions d’un médiateur qui recherche désespérément des interlocuteurs. Eux qui ont initiés la nouvelle organisation des services et la création des Agences départementales. Eux qui décident des choix budgétaires de la collectivité et des moyens donnés ou pas au service public.