Nous nous sommes MAL–ENTENDUS mais on se connait ! Des travailleurs sociaux rencontrent la Directrice Générale des Services

le texte ci-dessous figure dans les pages intérieures de « Sud-inter-cdaS » n° 28
Suite à "l’invitation" à participer aux différentes rencontres dans le cadre de l’enquête « on se connait… », une vingtaine de professionnels du CDAS de Cleunay s’est réunie afin de faire part à Mme QUINAUT, Directrice Générale des Services, de leur désaccord et leur absence de participation à ce travail.

Ce courrier est argumenté par :

  • l’impression que le travail engagé relève davantage d’un travail de communication que d’un processus de démocratie participative ;
  • le sentiment de venir cautionner des orientations départementales préalablement définies plutôt que de contribuer à définir ces orientations. Ce constat est étayé par une longue participation à différents groupes de travail au sein desquels la richesse de l’expertise des travailleurs sociaux n’est pas prise en compte ;
  • la réponse quasi-systématique de contrainte budgétaire opposée aux propositions faites par les professionnels ;
  • la préoccupation par l’écart qui continue à se creuser entre la conception de plus en plus managériale du service public et le sens de l’intervention sociale, en lien avec l’éthique professionnelle et au regard de l’accroissement de la détresse et de la précarité de la population ;

Ce courrier a provoqué une rencontre avec Mme QUINAUT. Les collègues souhaitant que les agents puissent en avoir connaissance, voici leur compte-rendu in extenso.

Suite à notre courrier du 31 mai nous avons reçu illico presto une proposition de rencontre de Mme Quinaut. Le 1 7 juin, elle nous adresse une proposition de rencontre pour le lundi 24 juin. Nous avons obtenu un délai pour que l’équipe puisse préparer cette rencontre, qui a eu lieu le 4 juillet.

Un des points les plus positifs est que nous avons fait l’expérience de travailler tous ensemble (assistants sociaux, éducatrices, secrétaire ASE, conseillère en gérontologie, conseillère en économie sociale et familiale) et d’avoir une véritable réflexion sur le sens du travail social au sein de notre institution dans le contexte actuel : enfin des réunions de véritables échanges au lieu des systématiques et improductives réunions d’informations descendantes qui nous sont imposées !

Au-delà de la démarche « on se connait » initiée par le Conseil Général, il est nécessaire de replacer cette démarche dans le cadre des orientations politiques et budgétaires de la collectivité théorisées dans le texte co-rédigé par Mme QUINAUT « Boulet financier ou renouveau de la solidarité ».

En conformité avec l’esprit de son texte sur l’action sociale, notre DGS essaiera de contenir toute la discussion strictement en termes de malentendus entre les travailleurs sociaux et leur administration.

Nous convaincre que notre position relève d’un malentendu…

Elle exprime d’emblée venir pour avoir un dialogue, elle souhaite instaurer une discussion de fond au-delà de la relation hiérarchique.

Et elle nous le prouve… en commençant par questionner d’emblée les travailleurs sociaux sur leur devoir d’obéissance !

Notre DGS « n’entend pas » que des employés du CG puissent affirmer être en désaccord avec la politique du Conseil Général.

Or, les choix budgétaires et les orientations de la collectivité sont avant tout des choix politiques. Et si cela rentre en contradiction avec notre déontologie, et met à mal le travail social, avons-nous le droit de questionner notre institution ? (cf. articles 7, 21 , 22, 23 du Code de Déontologie).

Il est évident que les choix budgétaires ont des incidences sur le travail social mais plus largement sur le service public.

Malentendu, mauvaise compréhension, donc pas de problèmes, pas de conflits. Selon Mme QUINAUT, nous partageons les mêmes valeurs, les mêmes préoccupations et le même vocabulaire. Et c’est nous qui ne comprenons pas : belle stratégie !

Alors elle nous explique la transversalité, les investissements du CG dans d’autres domaines, la complémentarité des interventions, les budgets… le soutien aux associations, à la politique de la ville. Elle nous invite à prendre connaissance de ces financements (comme si nous les ignorions ! ) et elle nous engage à travailler autrement. La transversalité serait le remède miracle aux difficultés que nous rencontrons actuellement.

L’évolution attendue de nos pratiques peut conduire à une perte de sens de notre travail

Nous faisons tous le constat d’un écart qui se creuse entre les attendus des cadres dirigeants de la collectivité et les demandes des professionnels. Notre DGS nous demande alors de dater, d’identifier. La réponse est unanime. Les états généraux ont marqué les esprits : tout cela pour rien ou si peu.

Les professionnels se sont sentis trahis : beaucoup de choses sont remontées du terrain, ce qu’il en est advenu est contraire, voir à l’opposé de ce qui était sollicité et nécessaire au maintien d’un service public de qualité.

Nous prenons conscience d’une évolution de plus en plus en contradiction avec nos constats, notre analyse et nos revendications : problématique pour nous et dangereuse pour les usagers.

Nous exposons notre travail, nous donnons des exemples, nous citons des interventions qui montrent que tout nous oppose à ces conceptions strictement rationnelles et qui sont en delà de la souffrance et des réalités des usagers accueillis.

Mme Quinaut ne comprend pas ce qui fonde nos inquiétudes. Nous citons son texte pour exemple :
Le vocabulaire
« Déresponsabilisation, capacités à agir, désengagement des citoyens, désengagement de la sphère privée, effets pervers d’un accompagnement déresponsabilisant, dépendance accrue à une multiplicité d’aide  ».
Les intentions
« l’absence de limites dans les modes de prise en charge, peu de contrainte de temps ou d’objectifs cibles, accepter que l’accès à l’autonomie soit parfois facilité par une absence d’intervention ou une intervention limitée dans le temps… »

… Alors que nous sommes face à un désaccord de fond

Nous expliquons le sens de l’accompagnement, le temps si précieux pour un cheminement respectueux de la personne humaine pour sa propre élaboration, la prise en compte difficile et exigeante de la part d’irrationalité dans la relation humaine.

Nous énumérons la richesse du travail d’équipe, l’engagement dans des partenariats constructifs, le désengagement des autres services et l’obligation de nos missions qui nous amène à être le dernier lieu d’écoute.

Ces convictions sont partagées par l’ensemble des personnes présentes et fondent notre intervention. Nous avons pu le redire à Mme QUINAUT à l’unisson.

Mme Quinaut n’est pas plus d’accord d’ailleurs elle ne comprend pas que nous laissions la porte si grande ouverte à tout le monde !!

Elle ne peut admettre que nous n’atteignons pas d’objectif, la finalité pour elle ne peut pas être l’accompagnement. Il faut produire des résultats, amener les gens vers l’autonomie.

Nous revendiquons le sens de ces accompagnements et l’efficacité de nos interventions, l’assistance aux personnes est un droit, nous rappelons le taux de précarité ; nous aidons des personnes à rester debout, à être considérées humainement par le respect que nous leur apportons, au final nous contribuons largement à l’indispensable cohésion sociale.

Notre DGS s’inquiète que nous en fassions trop : « ne vous ne donnez-vous pas des objectifs trop ambitieux ? » Et, pour elle, « mettre plus de moyens pour faire ce que nous faisons aujourd’hui, mon analyse est que l’on fait fausse route  ».

Finalement, on ne se connait pas…

Doit-on alors se réjouir d’une tentative de dialogue ou bien s’alarmer d’une tentative de recadrage ? Nous ne sommes pas en mesure d’apporter une réponse à cette question. Cependant nous constatons la nécessité d’un débat contradictoire et nous y sommes ouverts.

Aujourd’hui, deux schémas de pensée, deux visions de l’action sociale et de l’Humain s’opposent ; celui de l’administration et celui des travailleurs sociaux.

Les travailleurs sociaux pensent l’action sociale à partir des valeurs humanistes à l’origine des fondements de leurs missions. Dans ce contexte, toute la complexité de l’humain est incluse, ce qui permet d’entrer dans une dynamique relationnelle avec l’usager.

L’administration pense l’action sociale en termes de fonctions et rationnalise les tâches pour faire des économies. Tout ce qui fait la complexité de l’être humain et qui ne rentre pas dans les tâches devrait être mis de côté, éliminé. Cela nous met donc en difficulté pour assurer nos missions et ouvre la porte de l’explosion des métiers du secteur social.

Nous vous invitons à reprendre le texte des DGS (« Action sociale : boulet financier ou renouveau de la solidarité »), notre code de déontologie et à échanger en équipe de ces vrais divergences idéologiques et politiques.

« La liberté n’est pas la possibilité de réaliser tous ses caprices ; elle est la possibilité de participer à la définition des contraintes qui s’imposeront à tous. »

Albert JACQUARD


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